Depuis plusieurs années, le train de nuit connaît un regain d’intérêt.
Longtemps considéré comme un vestige du passé, il est désormais perçu comme
une solution efficace pour réduire les émissions de gaz à effet de serre
liées aux transports, tout en offrant une alternative crédible à l’avion en
Europe.
Récemment, deux lignes emblématiques ont été relancées : Paris–Vienne en
décembre 2021, puis Paris–Berlin en décembre 2023. Portées par l’opérateur
autrichien ÖBB, en partenariat avec la Deutsche Bahn et la SNCF, ces lignes
promettaient de reconnecter les capitales européennes.
Mais la réalité des trains de nuit européens est complexe : leur
développement nécessite des investissements lourds et une véritable volonté
politique. Après seulement quelques années, les ambitions initiales
semblent déjà réduites à peau de chagrin.
Les trains de nuit européens sont considérés comme des services librement
organisés, relevant d’une exploitation commerciale (au même titre que les
TGV), et ne sont donc pas censés bénéficier de subventions publiques.
Pourtant, face à la situation structurellement déficitaire de ces lignes –
malgré un taux de remplissage de 70 % – et à l’urgence écologique, l’État
français a accordé une subvention estimée à 10 millions d’euros par an.
Aujourd’hui, il menace de la supprimer.
En cause : la SNCF, qui assure l’exploitation sur le territoire français,
n’a pas respecté la fréquence quotidienne exigée comme condition *sine qua
non* de cette subvention. Seuls trois allers-retours hebdomadaires sont
actuellement assurés, loin des promesses initiales. Les travaux nocturnes
sur les infrastructures, l’absence de rentabilité, le manque de matériel
roulant et l’équilibre financier précaire ont freiné le développement des
trains de nuit.
Le train de nuit est l’un des meilleurs leviers pour remplacer l’avion sur
les trajets courts entre pays européens, tout en offrant une empreinte
carbone extrêmement réduite.
La poursuite de l’exploitation de ces deux lignes est donc sérieusement
menacée. Plusieurs raisons, largement prévisibles, expliquent les
difficultés de la relance des trains de nuit européens.
La principale est l’absence de rentabilité financière. Le modèle économique
du train de nuit est structurellement fragile : un train de nuit n’effectue
qu’une rotation par jour, contrairement aux TGV ou aux avions. Le coût de
remplacement des wagons vieillissants (type Corail des années 1970) est
élevé, tout comme les péages ferroviaires. Chaque trajet nécessite du
personnel supplémentaire, notamment pour la surveillance aux frontières.
L’Autriche et l’Allemagne n’accordent pas de subventions directes à ces
lignes, mais ont cofinancé l’exploitation avec la France et fourni du
matériel roulant de meilleure qualité. Sans la subvention française, la
viabilité des lignes est compromise. Par ailleurs, l’Union européenne reste
réticente à l’octroi de subventions, au nom de la concurrence libre et non
faussée.
Sans rentabilité, le projet ne pouvait se développer qu’avec un réel
portage politique, difficile à obtenir dans un contexte d’instabilité
politique et de contraintes budgétaires. De plus, l’absence de rentabilité
n’attire pas la concurrence.
Enfin, les trains de nuit pâtissent du sous-investissement chronique dans
la rénovation du réseau. Les ressources qui auraient pu leur être allouées
seront sans doute réorientées vers la rénovation, comme l’a montré la
conférence Ambitions France Transports, qui a souligné l’urgence de trouver
des financements pour ce secteur.
La gouvernance constitue un autre frein majeur. Qui pilote la politique des
trains de nuit européens ? Les États membres concernés ? Les opérateurs ?
L’Union européenne ? Ce modèle à plusieurs têtes, aux responsabilités
floues, complique la gouvernance et la mise en œuvre d’une politique
cohérente de développement des trains de nuit.
De plus, l’exploitation de ces lignes ne repose sur aucun contrat
contraignant : chaque partie prenante reste libre de ne pas respecter un
cadre qui n’a rien d’obligatoire.
Enfin, l’ouverture à la concurrence pose question. Les trains de nuit ne
sont pas rentables pour la SNCF, bien au contraire. Son système historique
de péréquation s’effrite, alors même qu’elle doit dégager des marges et
viser la rentabilité. Dans ce contexte, la faiblesse de l’offre par rapport
aux attentes de l’État français s’explique aisément.
D’autres facteurs aggravent la situation : difficultés d’allocation des
sillons entre trains de fret et trains de nuit, travaux de rénovation
majoritairement réalisés la nuit, manque de promotion de ces trajets, qui
ne sont même pas disponibles sur l’application SNCF Connect.
La disparition des lignes Paris–Berlin et Paris–Vienne serait un revers
majeur pour la transition écologique. Le train de nuit est l’un des
meilleurs leviers pour remplacer l’avion sur les trajets courts entre pays
européens, tout en offrant une empreinte carbone extrêmement réduite.
Alors que l’Europe s’est engagée à réduire de 55 % ses émissions de CO₂
d’ici 2030, stopper l’exploitation de ces lignes serait contre-productif.
L’Union européenne et les États membres doivent élaborer une stratégie
ambitieuse pour développer le train de nuit en Europe, assortie d’une
gouvernance claire. Le train de nuit ne doit pas rester un vestige du
passé, mais devenir un pilier du futur européen.

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