Rétrospective des trains de nuit en France


Rail du sud, l’observateur ferroviaire du grand Sud-Est, revient sur
l’évolution des trains de nuit depuis 50 ans.
Trains de nuit en France, un laborieux retour entièrement centré sur Paris
: les transversales attendront

Signe du retard chronique de la France en matière de développement de
services ferroviaires innovants, le récent retour des trains de nuit en
Europe a commencé par les pays germaniques, Autriche ou Suède en tête.
L’Etat français et son bras ferroviaire la SNCF avaient supprimé la plupart
de ces relations nocturnes, jadis surabondantes, arguant que le TGV les
remplaceraient avantageusement et renvoyant la plupart des relations vers
ou *via* le « hub » de Paris, pourtant largement décentré.L’offre TGV
au-delà de 3 heures de temps de parcours ne permet souvent pas un
aller-retour dans la journée qui puisse offrir à destination un temps utile
convaincant. A l’inverse, l’arrivée à destination vers 6 h 00 du matin et
le départ vers 22 h 00, permises par un train de nuit, offre environ seize
heures temps utile, ce que ne permettent ni les trains à grande vitesse sur
ce type de distances, ni l’avion (auquel doit être imputé les souvent longs
parcours d’approche). Le train de nuit permet aussi d’économiser des
chambres d’hôtel, dont les prix ont explosé dans les métropoles.

Les transversales, premières victimes de la liquidation des trains de nuit

La suppression des trains de nuit en France a massivement concerné des
transversales (Bordeaux-Quimper, Lyon-Bordeaux, Genève-Nice, Calais-Bâle…)
non doublées par des lignes à grande vitesse et auxquelles la SNCF a
substitué des relations TGV via l’Ile-de-France. Ces dernières sont très
peu performantes, tant en temps de parcours qu’en prix. Or la relance des
trains de nuit sous l’autorité de l’Etat français s’opère pour l’instant
exclusivement sur des lignes radiales à partir de Paris, alors même que les
transversales sont globalement de jour desservies par des Intercités
relativement lents, ou nullement desservies telles Lyon-Bordeaux,
Genève-Hendaye, Genève-Nice, Bordeaux-Nice limitée à Marseille, etc…

L’Etat français poussé par la clientèle potentielle, pris au piège de son
environnementalisme revendiqué et vexé des innovations à succès de pays
voisins, a consacré 100 millions d’euros dans son plan de relance au
développement des trains de nuit, réduits à l’étiage à leur plus simple
expression telle que Paris-Briançon et Paris-Latour-de-Carol/Port-Bou pour
le grand Sud-Est.

Cette centaine de millions d’euros sont ventilés entre 76 M€ pour la
rénovation de 93 voitures à voyageurs adaptée au couchage plus ou moins
sophistiqué, travaux effectués entre 2021 et 2023. Vingt-quatre autres
millions d’euros étaient budgétés pour les installations de service (14 M€)
et les gares (10 M€), indique le ministère des Transports. Trente millions
supplémentaires, hors plan de relance, ont été abondés pour la rénovation
de 36 autres voitures de nuit.

En 2015, une note interne préconisait la suppression de tous les trains de
nuit

Ont été relancées plusieurs relations de nuit, dont la disparition semble
relever a posteriori d’un manque manifeste de *vista* commerciale. En mai
2015, une note interne d’une SNCF concentrée sur le binôme TGV-TER
préconisait rien de moins que la suppression totale des Intercités de nuit.
Le prétexte invoqué : ils ne seraient plus concurrentiels face au
covoiturage et aux relations aériennes à bas coût. On ne peut pas dire que
ses auteurs aient été habités, ni par l’esprit d’entreprise, ni par la
connaissance du terrain.

La même année, le rapport commandé par le ministère à Philippe Duron sur
l’avenir des Trains d’équilibre du territoire, intitulé paradoxalement
« TET d’avenir », recommandait la suppression de toutes les lignes de nuit
subsistantes excepté Paris-Briançon, Paris-Toulouse/Latour-de-Carol et
Paris-Rodez/Albi. Il n’évoquait même pas la relation nocturne Paris-Nice,
la plus longue puisqu’elle affiche quelque 1.086 km, une distance pourtant
toute indiquée pour une relation ferroviaire nocturne de centre-ville à
centre-ville.

Ce sont les Paris-Nice et Paris-Tarbes qui ont ressuscité les premiers, au
premier semestre 2021, avec la bénédiction du premier ministre Jean Castex,
un défenseur affiché du mode ferroviaire. La relation nocturne Paris-Nice,
supprimée en décembre 2017, est effective depuis 20 mai 2021. Le
Paris-Tarbes, d’abord tracé par Limoges et Toulouse, a connu de sévères
perturbations avec fréquentes substitutions par autocars entre Toulouse et
Tarbes. Depuis le service annuel 2024 (22 décembre 2023), le Paris-Tarbes a
repris l’itinéraire historique de l’ancienne « Palombe bleue », via
Poitiers, Pau et Bordeaux, avec un succès immédiat.

« Ces trains, qui passent par de grandes villes, ont trouvé rapidement
leur public » explique désormais la SNCF. Sur les deux premières semaines
d’exploitation de l’itinéraire historique et « même s’il est trop tôt pour
tirer un bilan significatif » puisqu’il s’est agi d’une période de fêtes,
une rame de 400 places sur cinq était complète dans les deux sens.

Amiga prône une extension vers Mende du Paris-Aurillac ressuscité

Les 10 et 11 décembre 2023 une nouvelle intérieure de nuit a été mise en
service, entre Paris et Aurillac, simultanément à la liaison nocturne
internationale Paris-Berlin. « Les trains de nuit constituent une offre de
transport écologique, pratique pour se rendre sur les lieux de loisirs et
de vacances mais aussi pour les déplacements professionnels, lors de
trajets longues distances », explique le ministère des Transports après que
le même Etat eut liquidé, depuis les années 2000, l’essentiel du réseau
nocturne.

Entre Paris et Aurillac, deux allers-retours hebdomadaires sont tracés
depuis le 10 décembre 2023, soit les nuits du vendredi au samedi et du
dimanche au lundi hors vacances scolaires des zones A et C. Pendant les
vacances scolaires desdites zones, la relation est quotidienne. Ces
voitures Paris-Aurillac sont incluses dans la rame Paris-Rodez relancée à
l’été 2023. Au total, ne nombre annuel de nuits circulées entre Paris et
Aurillac sera de 200, soit un peu plus de deux nuits sur quatre. Pas de
quoi favoriser les achats de dernière minute en raison de l’instabilité
hebdomadaire de l’horaire. Si le ministère insiste sur le fait que ces
circulations desservent en fin et début de parcours trois gares entre Brive
et Aurillac (Saint-Denis-Près-Martel, Bretenous-Biars, Laroquebrou), il
n’évoque pas le sort qui sera fait à la demande pressante des associations
de défense de la ligne Béziers-Neussargues, telles qu’Amiga.

Ces dernières suggèrent que le long temps de stationnement de la rame et de
sa locomotive à Aurillac soit mis à profit pour prolonger le parcours
d’Aurillac à Mende, ou au moins jusqu’à Saint-Flour en desservant au
passage le Lioran et Murat. Il est vrai que la section
Neussargues-Saint-Chély-d’Apcher va de nouveau être en travaux pour
renouvellement de ses rails antédiluviens à double champignon.

Au sud de Brive, le manque d’engins thermiques de traction a causé des
substitutions par cars

Le ministère précise qu’une subvention d’exploitation de presque 3 M€
annuels sera délivrée par l’Etat à ce train de nuit Paris-Aurillac. Il
faudra bien cela, un manque de matériel diesel de traction ayant entraîné
la substitution par autocars de plusieurs circulations nocturnes
Paris-Aurillac entre Brive et la préfecture du Cantal dès la période des
fêtes de fin d’année 2023. Il en a été de même pour la tranche Paris-Rodez.
Sur l’itinéraire terminal de cette dernière, entre Brive et Rodez, plus de
de cinquante circulations ont dû être substituées par autocars depuis l’été
2023. SNCF Voyageurs assurait ces derniers jours que les locomotives diesel
seraient désormais au rendez-vous grâce à la location d’un exemplaire à
Akiem.

Ce manque d’engins est une fois de plus le prix de la politique
malthusienne des autorités ferroviaires françaises en matière de matériel.
Notons que les voitures type « Corail » retapées pour former les rames des
trains de nuit ont pour certaines échappé de peu au ferraillage massif de
ce type de matériel, mené depuis des années contre tout esprit patrimonial.

A l’international, la relance du Paris-Berlin nocturne est la résultante
d’un accord signé en 2020 entre quatre entreprises historiques, parmi
lesquelles SNCF Voyageurs. Il en est résulté un Paris-Vienne lancé fin
2021. Les voitures Paris-Berlin, lancées le 11 décembre 2023, sont incluses
sur la partie française dans la rame Paris-Vienne. Cette tranche
Paris-Berlin est pour l’instant limitée à trois allers-retours
hebdomadaires. Elle devrait devenir quotidienne à partir d’octobre 2024.

Une liquidation délibérée (jusqu’au Paris-Nice !) étalée sur plus de trente
ans

L’histoire des trains de nuit en France aura été celle d’une liquidation
délibérée étalée sur une trentaine d’années. Il y eut d’abord la
suppression systématique des trains de nuit circulant sur des axes
nouvellement équipés de lignes à grande vitesse. Puis survint le reste.

Nous citerons, pour mémoire, la suppression du Reims-Nice en 2008, des
Lille-Nice, Quimper-Lyon-Bourg-Saint-Maurice/Genève (limité au
Quimper-Lyon) en 2009. Fin 2010 furent supprimés les Nantes-Nice et
Quimper-Lyon, le Paris-Vintimille, ancien « Train bleu » étant amputé de sa
section terminale Nice-Vintimille, qui desservait pourtant Monaco et Menton.

Fin 2011, les Paris-Irun et Paris-Tarbes sont regroupés en un seul train à
tranches via Toulouse et sont frappés d’exceptions de circulations
officiellement dues à des travaux, rendant leur emprunt d’autant plus
dissuasif que la correspondance à Irun avec le train Renfe vers
Saint-Jacques-de-Compostelle et la Corogne n’est plus assurée. Fin 2017, le
Paris-Nice de nuit est supprimé.

Avant les années 2010, une multitude d’autres relations nocturnes étaient
passées à la trappe, telles que Lyon-Bordeaux, trains qui inclurent des
voitures Milan-Bordeaux, Genève-Bordeaux, Strasbourg-Bordeaux,
Vichy-Nantes… L’exploitation en rames tractées permettait de jouer avec de
multiples tranches, en particulier sur les trains de nuit pour lesquels de
longs stationnements pour « coupes/raccords » n’étaient pas – et ne sont
toujours pas – des inconvénients.

La relance ne concerne que les radiales alors que les transversales sont
tout indiquées

Aujourd’hui, le plus frappant dans la relance de quelques relations
voyageurs nocturnes par l’Etat français est qu’elle concerne exclusivement
des relations radiales, donc au départ de Paris. Il est vrai que le
rétablissement d’une relation nocturne impose, si l’on optimiser son bilan
comptable en lui faisant desservir plusieurs villes intermédiaires, de
recréer des postes de nuit (commerciaux ou techniques) dans les gares les
desservant, voire de rouvrir des lignes « fermées » durant la nuit. Cette
obligation renchérit le coût de rétablissement sur des lignes de moindre
importance, transversales en particulier.

Pourtant, ces relations transversales, privées de grande vitesse,
paraissent toutes désignées pour recevoir des trains de nuit. Nous citerons
bien sûr la transversale Grand Sud Bordeaux-Nice, avec d’éventuelles
prolongations vers Vintimille à l’est, vers Nantes à l’ouest. Sur le même
axe occitan, le collectif « Oui au train de nuit » et plusieurs élus ont
sollicité l’Elysée pour relance une relation nocturne Hendaye-Genève. Via
Pau, Lourdes, Tarbes, Toulouse Matabiau, Narbonne, Montpellier Saint-Roch,
Nîmes Centre, Avignon Centre, Valence Ville et TGV, Grenoble, Chambéry,
cette circulation desservirait trois régions et une douzaine de
départements, offrant de part et d’autres de multiples possibilités de
correspondances. Moyennant le retour à la pratique des coupe-accroche,
pourraient y être adjointes les voitures Bordeaux-Nice sur le parcours
commun Toulouse-Nîmes (ou Avignon).

Lyon-Bordeaux par Montluçon, l’axe emblématique

Toujours sur l’axe transversal est-ouest, mais plus au nord, le
rétablissement d’une liaison nocturne Lyon-Bordeaux paraît relever du
moindre des respects pour les populations du nord du Massif central. Sur
cet axe emblématique, aucun TER ne relie Montluçon ni à Lyon ni à Bordeaux.
L’incapacité des deux régions mitoyennes d’organiser des TER birégionaux
empêche toute relation est-ouest digne de ce nom.

Railcoop avait envisagé un autorail nocturne sur l’axe mais ses déboires
financiers semblent renvoyer le projet aux calendes grecques. Une relation
nocturne Lyon-Bordeaux permettrait, comme toute relation nocturne, outre de
confortables voyages de bout en bout, des dessertes de cabotage de fin de
soirée et de tout début de matinée aux extrémités de la ligne… sous réserve
d’une transparence tarifaire TER-Intercités, ce qui n’est malheureusement
pas dans la mentalité d’école de commerce des actuels dirigeants.

Signalons enfin l’intérêt que représenterait pour les mêmes raisons une
relation type ex-« Rhône-Océan » Lyon-Nantes, étendue à Grenoble et Quimper
de part et d’autre, *via* Roanne, Saint-Germain-des-Fossés, Moulins,
Saincaize, Tours, Angers, moyennant relais traction électricité-diesel à
Saint-Germain-des-Fossés.

Sur les transversales nord-sud, les possibilités sont tout aussi évidentes.
On peut citer, sans prétendre à l’exhaustivité : à l’est les axes
Metz-Nancy/Strasbourg-Nice/Toulouse, Calais/Lille – Nice/Port-Bou ; à
l’ouest les axes Rennes/Quimper-Nantes-Bordeaux-Toulouse avec éventuelle
prolongation Narbonne voire Marseille et Nice, Cherbourg-Caen/Rouen-Le
Mans-Tours-Bordeaux…

*Trains à tranches multiples, conception multipolaire du territoire*

Toutes ces hypothèses impliquent : la mobilisation d’une flotte de
locomotives, électriques et/ou diesel ; l’arrêt immédiat du ferraillage des
voitures Corail et de leurs excellents bogies Y32 pour rénovation et
adaptation aux voyages de nuit (couchettes ou sièges inclinables) ; la
construction de nouvelles voitures spécialisées ; le « réveil » des postes
de gestion nocturne de la circulation sur de nombreuses lignes ; la
réouverture des gares appelées à recevoir des arrêts commerciaux de nuit,
souvent fermées depuis l’ère TGV à l’arrivée de la dernière circulation
diurne…

Enfin, une relance équitable des trains de nuit implique la réintroduction
d’une culture des trains à tranches multiples, donc à rames tractées : ce
type de circulations implique certes de longs arrêts aux gares de jonction
pour dételage/attelage, mais ce genre de stationnement prolongé ne dérange
en rien le concept, les circulations nocturnes voyageurs n’ayant pas la
vitesse pour principe mais la commodité d’une arrivée précoce à destination.

La question des trains de nuit rejoint, comme tant d’autres, celles de
l’équité territoriale. Bien menée, la relance des trains de nuit sur des
axes transversaux participerait d’une conception multipolaire de
l’aménagement du territoire. A l’évidence, on en est encore loin.

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