Ils sont partis début août de la gare de Gap dans les Hautes-Alpes, à deux
pas de chez eux. Trois jours et trois nuits plus tard, les cinq copains
descendent du train, le sourire aux lèvres, un reste de tagadam tagadam
dans les têtes, à la gare centrale de Sofia, en Bulgarie, aux confins de
l’Europe de l’Est.
« Entre la sensation de dépaysement et l’impression d’avoir accompli un
véritable voyage, c’était un moment magique », se souvient Clément Kuster,
tout juste 20 ans. Avec ses acolytes (Adrien, Florian, Quentin et Galien),
cela leur a tellement plu qu’à peine la capitale bulgare visitée, ils se
sont remis sur les rails pour une nouvelle escapade dans le massif des
Rhodopes, au sud du pays, à bord du tortillard qui se hisse jusqu’à la plus
haute gare des Balkans, Avramovo, à 1 267 mètres d’altitude.
« Après quoi, nous avons continué notre périple en passant par la Serbie,
le Monténégro, la Croatie, la Slovénie, et enfin l’Italie, où l’on a même
pu s’offrir un dernier stop à Venise avant de rentrer en France », raconte
encore Clément. En trois semaines, nos cinq étudiants ont ainsi parcouru
quelque 6 000 kilomètres et emprunté 26 trains différents.
Pourquoi se priver ? Le Pass InterRail est le sésame rêvé pour des voyages
illimités. Passer d’une capitale à une autre, improviser une halte dans un
village croquignolet, franchir des frontières pendant son sommeil à bord
d’un train-couchettes… Ce billet open permet de voguer librement à travers
33 pays. En train, bien sûr, mais aussi à bord de nombreux ferrys, ou
parfois grâce à des liaisons par autobus là où le rail est aux abonnés
absents. Au total, une centaine de compagnies de transport publiques et
privées à travers l’Europe jouent le jeu.
De quoi connecter quelque 40 000 destinations sur le continent. « Tout
devient soudain possible, pourvu qu’on ne soit pas trop pressé d’arriver »,
résume avec humour Jorge Mendes, 39 ans, un Londonien d’origine portugaise
qui, l’été dernier, a choisi cette formule pour se rendre des bords de la
Tamise au sud de l’Italie. Lui aussi a adoré ses deux jours à regarder le
paysage défiler : « C’était une première pour moi, et le passage des Alpes
m’a beaucoup marqué, témoigne-t-il. Après un arrêt à Turin, j’ai poursuivi
à bord d’un train de nuit où je me suis retrouvé dans un compartiment avec
une vieille mamma italienne et ses petits-enfants. Cela a donné un trajet
haut en couleur jusqu’à l’arrivée au petit matin à Bari, la capitale des
Pouilles.»
À destination équivalente, le déplacement en train émet 80 fois moins de
CO2 qu’en avion, et 50 fois moins qu’en voiture, selon InterRail. C’est en
outre l’option la moins coûteuse quand les tarifs de l’aérien et du
carburant explosent. Si bien que le pass européen s’était déjà écoulé, à
l’été 2022, à 680 000 exemplaires, sachant que la moyenne avant la pandémie
de Covid-19 était de 600 000 par an.
À l’origine, en 1972, le billet illimité fut pensé par la CEE (Communauté
économique européenne) pour créer des liens entre les jeunes Européens et
réhabiliter la tradition anglo-saxonne du Grand Tour, ces voyages de
découverte qu’effectuait aux XVIIIe et XIXe siècles la jeunesse des plus
hautes classes de la société européenne, Britanniques en tête. Cinq
décennies et dix millions de pass vendus plus tard, toutes les tranches
d’âge peuvent en bénéficier. Mal connu en France, mais très populaire aux
Pays-Bas, dans les pays scandinaves ou au Royaume-Uni, l’InterRail s’est
peu à peu ouvert à tous, avec une réduction de 25 % pour les 12 à 27 ans
par rapport au tarif InterRail adulte, de 10 % pour les plus de 60 ans et
la gratuité pour les moins de 11 ans accompagnés d’un adulte, ce qui en
fait un très bon plan pour les déplacements en famille. La seule
condition : être résident européen.
Aujourd’hui, deux formules existent. Première possibilité, le One Country
Pass, pour des trajets à l’intérieur d’un seul État. Non valable dans son
pays de résidence, ce forfait permet trois à huit jours de train illimité,
à répartir sur un mois. Les prix varient d’une nation à l’autre. Cinq jours
en seconde classe coûtent ainsi 89 euros en Pologne et 241 euros en
Grande-Bretagne. Pour les îles grecques en ferry, il faudra débourser
176 euros pour six jours. Des tarifs imbattables, surtout en haute saison.
Seconde possibilité : le Global Pass, dédié à ceux qui souhaitent traverser
les frontières, avec une durée de validité allant de quatre jours à trois
mois. Le plus vendu, celui de sept jours – pas forcément consécutifs – de
train illimité à utiliser en un mois coûte 335 euros pour un adulte en
seconde classe. Le moins cher (quatre jours sur un mois) coûte 246 euros,
et le plus cher (trois mois) 902 euros. En outre, ces forfaits donnent
droit à un aller-retour dans sa contrée d’origine pour quitter son pays et
y revenir.
Gare, cependant, aux frais additionnels, fréquents sur les trains de nuit
(une couchette en Autriche coûte, par exemple, environ 30 euros de plus) et
les trains à grande vitesse. Mais il est possible, si l’on a du temps,
d’éviter ce dernier surcoût. C’est ce qu’a fait au mois d’août dernier
François Barrillon, 28 ans. Ce Grenoblois passionné de musique a opté pour
le forfait sept jours. Direction Budapest, pour assister au Sziget, le plus
grand festival d’Europe. En chemin, il en a profité pour baguenauder du
côté de Milan, Ljubljana, Vienne, Zurich, Bratislava… Le tout, sans
débourser un sou de plus, même si cela signifiait parfois des trajets de
huit, neuf ou dix heures.
Quant à Pierre Goupil, 27 ans, un autre « InterRailleur », il a fait ses
calculs : « Même avec les quelques suppléments que nous avons eu à payer,
le Global Pass reste une très bonne affaire pour la plupart des
destinations.» Cet ingénieur en biochimie, accompagné de deux amis, Raphaël
Manger et Antoine Hays, a circulé pendant un peu plus de quinze jours à
travers les Balkans. De quoi, disent-ils, « goûter aux joies de
l’improvisation ». Aux antipodes de l’avion, avec ses réservations fermes
et ses billets non modifiables, le train sans contrainte est en effet idéal
pour ceux qui veulent avoir la liberté d’aller dans une direction puis d’en
changer à la gare suivante… « C’est comme cela que, sur un coup de tête,
nous avons fait une escale inoubliable à Vérone, en Italie », se souvient
Pierre.
Parmi les conseils de ceux qui ont parcouru l’Europe cet été, celui qui
revient le plus souvent est de se ménager des pauses après de longs
trajets. Pour un forfait cinq jours de train illimité, mieux vaut ainsi
prévoir un minimum de dix à quinze jours de voyage au total, et ne pas
craindre de recourir au train de nuit, afin de se réserver suffisamment de
temps pour les visites. «nPour cela, il faut un peu planifier son
itinéraire, ce que nous n’avions pas vraiment fait », remarque Malene
Freja. Âgée de 26 ans, cette habitante de Flensburg, tout au nord de
l’Allemagne, a voyagé tout l’été avec son compagnon Teve Janosch, 31 ans.
Les deux amoureux sont partis, avec leur sac à dos, une tente et toute
l’insouciance de la jeunesse, sans trop anticiper les escales, encore moins
les réservations. Mais la liberté, en haute saison, a parfois ses revers. «
Après la Hongrie, la Slovénie, l’Autriche et la Suisse, nous avons choisi
d’aller jusqu’en Bretagne. Sauf qu’en plein mois d’août, la traversée de la
France en train est un casse-tête si on n’anticipe pas.»
Et puis il y a les imprévus. Retards, avaries, correspondances manquées… «
Cela fait partie de ce genre de voyage », analyse Jon Worth, 42 ans. Ce
Britannique mordu de train, qui vit à Berlin , connaît le sujet sur le bout
des rails… Son Global Pass en poche, il a passé tout l’été à tester
l’Europe ferroviaire dans le cadre du projet qu’il porte, CrossBorderRail.
Deux mois entiers (et un pass à 731 euros) à se faire bringuebaler dans des
voitures cacochymes, pour 95 frontières franchies et 30 000 km parcourus.
Une odyssée au cours de laquelle il a envoyé régulièrement des cartes
postales à la Roumaine Adina Valean, commissaire européenne aux Transports,
pour lui indiquer à quel point « dans cette Union européenne supposée sans
frontière, les frontières ferroviaires étaient, elles, toujours bien
présentes ».
Fin août, il est allé déposer son rapport sur le bureau d’Anna Lührmann, la
ministre allemande des Affaires européennes, assorti d’une dizaine de
propositions pour améliorer le réseau continental. « L’InterRail a encore
une sacrée marge de progression pour séduire plus largement »,
observe-t-il. Dans de nombreux endroits, les voies ferrées sont là mais le
trafic a été réduit, voire supprimé, pour des raisons de rentabilité. Dans
d’autres, les correspondances sont si mal coordonnées qu’elles découragent
les usagers. Ailleurs, ce sont, faute d’investissement, de vieilles
locomotives au diesel qui roulent sur des lignes pourtant électrifiées.» Et
que dire de l’absence de rails dans certaines régions jadis bien pourvues ?
Pour surmonter cet obstacle, Jon Worth, qui déteste le bus, avait tout
prévu : dans ses bagages, il a emporté un vélo pliable. « Au total, en deux
mois de déplacement, j’ai été obligé de pédaler plus de 900 km »,
constate-t-il. Preuve que les voyages en train peuvent être un sport comme
les autres.
Source : Géo
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